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Entretien avec Michel Sikiotakis paru dans la lettre du CMTRA n°34, juillet 1999


Michel Sikiotakis : Mugar est né d'une création qui a eu lieu à la grande Halle de la Villette lors du festival "Le Printemps celtique" en 1996. A l'origine, la demande était assez floue, alors du coup nous avons eu assez de liberté pour faire ce dont on avait vraiment envie. C'est une demande qui a été faite à Youenn Le Berre et à moi-même, et dès le début, on a essayé d'avoir une troisième tête, un musicien berbère qui piloterait cette partie de l'opération. Nous avons donc demandé à Nasredine Dalil, spécialiste de ce style de musique, de nous rejoindre pour ce projet.

Nous avions deux missions : faire quelque chose de différent, et utiliser des musiciens amateurs en travaillant avec les banlieues parisiennes. Nous sommes parti sur cette idée celtique-maghreb, mais en rencontrant différents musiciens, chanteurs, on a vite réalisé que ce serait plus intéressant de le faire avec les musiques berbères, plus particulièrement avec les musiques kabyles, du fait de l'importante existence de la communauté kabyle en région parisienne en tous cas. Il y a une complicité au niveau musical, au niveau historique aussi, car ce sont des communautés qui ont été déplacées, qui ont subit l'immigration, ce sont des musiques qui ont été aussi opprimées pendant pas mal d'années. Il y a des correspondances musicales assez étonnantes, ce sont des musiques qui ont dû s'acclimater à la ville : les kabyles ont été repoussés par les envahisseurs arabes vers les endroits les plus inhospitaliers du nord de l'Afrique, enfin les berbères en général habitent dans les endroits les plus difficiles. Les kabyles ont été forcément les premiers à être immigrés à Alger par exemple, et ensuite en France... Arrivées à la ville, ces musiques ont dû s'accoutumer, trouver des moyens de survie dans d'autres milieux, un peu comme cela est arrivé aux Irlandais qui ont débarqués aux États Unis ou pour les Bretons à Paris... il y a donc des histoires très similaires, et puis il y a des manières de faire qui sont assez proches.

Cela m'arrive assez souvent d'aller dans des lieux kabyles à Paris, et j'aime voir les gens se mettre autour d'une table et prendre une guitare ou une mandole pour chanter des chansons sans que se soit un spectacle. Tout le monde participe, soit en chantant soit en faisant de la percussion sur la table, et c'est tout à fait le genre d'atmosphère que je connais par les pubs irlandais, tout se fait d'une manière naturelle.

L'idée du spectacle Mugar est parti de là. Maintenant, cela dépend du lieu où l'on joue, mais souvent, on se retrouve tous ensemble sur scène autour de petites tables de bistrot et c'est une réelle rencontre de communautés. Dans un esprit assez respectueux l'un de l'autre, il y a en fait assez peu de moments où les musiciens berbères jouent des airs bretons ou inversement, c'est à dire que chacun joue principalement sa propre musique. Il y a des moments de fusion totale, mais c'est une nouvelle musique qui en ressort où chacun garde sa manière de jouer, son style aussi bien vocal qu'instrumental pour le mettre au service d'une nouvelle musique. Il y a un mélange de culture mais aussi de musiciens professionnels et de musiciens amateurs, c'était alors assez fort parce qu'on a des musiciens comme Youenn Le Berre qui est doit être à son 20ème disque avec Gwendal et autres, et puis des gens qui n'avaient jamais enregistré quoique ce soit, pour qui c'était la première scène, et qui se retrouvaient dans la même expérience. Maintenant, ce côté-là s'estompe un peu parce qu'on est en train de professionnaliser le groupe. Il y a également un troisième niveau de mélange, celui entre tradition et composition.

CMTRA : Il y a eux d'autres expériences de mélange celtico-berbère, avant cette formation, mais c'est comme si Mugar semblait plus logique, plus naturel, comment expliquez-vous cela ?
M.S. : Lorsqu'il est arrivé en France, Idir, qui est un des chanteurs berbères les plus important a trouvé très vite un écho en Bretagne avec des possibilités de tourner. Il a été très apprécié là-bas, c'était déjà un signe. Alors expliquer Mugar, c'est difficile parce qu'avant tout c'était simplement pour se faire plaisir, sans oublier le public bien sûr. On a pas cherché à rentrer dans des critères commerciaux, ni dans des critères de succès ou de rentabilité, car il s'agissait d'une commande de trois concerts et dans l'esprit de tout le monde, cela ne durerait pas. Il n'y avait donc aucune contrainte. C'est cela qui est beau dans notre histoire, le public l'a ressenti aussi très fort. Ces trois concerts à la Villette se sont transformés en quatre concerts, parce que les organisateurs ont tenu à ce que ce soit Mugar qui clôture le festival, et les gens revenaient avec leurs amis.

Aujourd'hui le CD est là, mais entre la création et le CD, il y a eu pas mal de répétitions pour mettre tout cela bien en place, dans les meilleures conditions. C'est un CD qui a été enregistré très vite, sur deux-trois week-ends. Le groupe ressemble plus à un petit orchestre, c'est à dire qu'en fait Nasredine Dalil, Youenn Le Berre et puis moi-même, mettons en place le choix du répertoire, les compositions, les arrangements, et nous dirigeons les répétitions. Les musiciens font partie entière du groupe, mais c'est vrai que cela fait plus penser à un orchestre. Nous sommes 15, donc, vu le nombre on était obligé d'opter pour un fonctionnement comme celui-là. La commande de départ était dans cet esprit, proposée à l'origine à deux personnes, qui devaient créer un ensemble.

On a mis au point un plan très précis du type de spectacle qui allait être joué. Ensuite, les différents thèmes, traditionnels ou les thèmes composés, et les différents arrangements sont venus naturellement. Avec certaines parties d'improvisations qui se mélangent aux thèmes traditionnels ou aux compositions, pour cela, il n'y a pas de règles fixes, le groupe est seul juge, suivant ses envies. Le mélange de ces trois inspirations fait partis de ce groupe, chacun amenant son bagage musical. Il faut savoir que chaque musicien est respecté dans son milieu d'origine, alors il ne s'agissait pas de faire un mélange qui ne part de nulle part. Youenn Le Berre, flûtiste, a touché aussi bien au monde contemporain qu'au jazz, à la musique classique ou au folk celtique. Nasredine Dalil connaît excessivement bien toutes les musiques du Maghreb et en particulier les musiques kabyles puisqu'il est kabyle lui-même. Le groupe de musique irlandaise intégré dans Mugar et qui s'appelle Broken String sont des jeunes qui n'avaient jamais enregistré, issus entre autre des ateliers que j'anime à l'association irlandaise, mais ils étaient déjà demandés dans leur propre milieu.

CMTRA : Est-ce qu'on trouve réellement des similitudes de jeux, ou de rythmes entre la culture musicale celtique et la culture musicale berbère, est-ce un constat issu d'une réalité historique ?
M.S. : Il y a évidemment des similitudes entre la musique bretonne et la musique kabyle, entre la musique irlandaise et la musique chaoui, une forme de musique berbère. Mais, en ce qui concerne l'histoire, je ne suis absolument pas compétent dans ce domaine, je me suis vraiment placé en tant que musicien. Certains disent que les celtes seraient passés par l'Afrique du Nord. Il est vrai que l'on retrouve des menhirs en Afrique du Nord, mais de là à échafauder des théories historiques, cela n'est pas de mon ressort. D'un point de vue musical, on retrouve des choses très proches qui sont troublantes : certains chants de femmes de mariage ressemblent étonnamment à des gavottes bretonnes, on se rend compte également que certains rythmes berbères vont bien sur des gigues irlandaises. En Irlande, les slow airs et les sean nös, chantés avec des styles vocaux sont assez proches finalement de ce que l'on peut entendre en Afrique du Nord, ou dans le monde oriental en général, avec tout le côté ornementé, les sonorités de la langue aussi. On a dans un des morceaux quelques paroles en bretons qui s'enchaînent sur des paroles en berbères et on passe de l'une à l'autre des langues sans s'en rendre compte au niveau phonétique bien sûr, car les initiés connaissent évidemment la différence. Maintenant, je pense que l'on a déjà mis beaucoup de choses extrêmement différentes sous le chapeau "musique celtique", c'était alors aussi un petit "pied de nez" de dire : "voilà, c'est aussi de la musique celtique !".

Les échos reçus pour cette création sont positifs, les gens disent que l'on est arrivé à passer d'une musique à l'autre sans que l'on s'en aperçoive vraiment. Et, c'est pour nous, avant tout plus un message humain que musical qui dit : "Il suffit de s'asseoir côte à côte et de voir ce que l'on peut faire ensemble".

CMTRA : Mugar me fait penser un peu à l'ONB qui a pour lui des influences de l'Afrique du Nord mais qui réalise aussi de savants mélanges culturels développés en milieu urbain, et qui justement trouve sa place dans la ville parce que les musiciens s'y sont installés comme chez eux. J'ai l'impression que c'est le même désir chez Mugar, de revendiquer une pluriculturalité à l'intérieur de l'espace métropole, comme un principe premier de savoir-vivre ?
M.S. : Oui, entre Mugar et l'ONB, il y a des liens, d'abord des liens d'hommes, car Nasredine Dalil a lui-même joué avec les premières versions de l'ONB. Fatah Ghoggal qui joue de la guitare avec Mugar est aussi le guitariste de l'ONB. D'autre part, c'est un peu la même démarche de dire : "Regardez, nous sommes de cultures différentes, nous sommes porteurs de ces cultures, respectueux avant tout, mais nous les faisons vivre dans le Paris d'aujourd'hui". En ce sens, il y a vraiment quelque chose de similaire avec l'ONB. Alors, l'enrobage n'est pas le même, Mugar a fait le choix d'avoir un son acoustique. La couleur générale est assez différente, mais la démarche est sensiblement la même. Ce qui est surtout important c'est d'arriver à ne plus opposer "enracinement dans une culture et création". C'est vrai que chaque milieu musical peut être assez oppressant, que ce soit le milieu traditionnel, kabyle, breton ou même jazz, chaque milieu musical comporte sa proportion de fanatiques. Je pense que le public est touché par l'espoir que notre musique amène, l'espoir de dire : "on est différent mais on peut vivre ensemble".

CMTRA : L'avenir de Mugar dont vous allez nous donner la signification ?
M.S. : "Mugar" veut dire "rencontre", mais c'est aussi le nom d'un lieu de rencontre de caravane dans le sud algérien, donc un lieu de fête. Alors, pour l'avenir, on pense à un prochain CD. Chacun par contre continue sa propre musique, c'est important pour garder le sens de Mugar, pour garder cette notion de rencontre, de joie de se retrouver ensemble. Sur le prochain disque il y aura un peu plus de compositions toujours en gardant certaines parties traditionnelles.

Propos recueillis par Catherine Chantrenne pour la la lettre du CMTRA


Interview publié dans le numéro d'avril 1999 de la revue Ethnotempos

MUGAR
UN MENHIR DANS LE SAHARA
De TAYFA à AFRO CELT sans oublier la collaboration IDIR-Alan STIVELL, les rencontres celto-africaines, et plus encore celto-berbères, se développent bendir et bodhran battants. Apparu pour la première fois lors du " Printemps Celte " parisien de 1996, le groupe MUGAR, mené par Michel SIKIOTAKIS (ex-TAXI MAUVE, FUBU), Youenn LE BERRE (GWENDAL) et Nasredine DALIL (IDIR, TAKFARINAS), est venu lui aussi apporter sa pierre à l'édifice des métissages ethniques aptes à faire grimacer les puristes aigris. Suite à la parution de son premier album, Kabily-Touseg (en breton : " champignon ", paraît-il), chez Tempo Maker / Mélodie, le collectif multiplie les concerts, surtout à Paris (trois dates au Divan du Monde en décembre dernier) et en Ile-de-France. Nous avons rencontré ses protagonistes entre un couscous et quelques crèpes.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Nasredine DALIL : Au départ, Michel SIKIOTAKIS et Youenn LE BERRE avaient été contactés par la Grande Halle de la Villette, qui leur avait demandé d'organiser une rencontre entre musiques dites celtes et musiques dites berbères. Ils ont donc appelé le groupe BROKEN STRINGS, qui a sorti deux albums de musique irlandaise (Mémoire celte, Vol. 1 et 2), et ils m'ont contacté pour m'occuper du côté berbère. J'ai alors fait appel à El-hadj KHALFA, qui joue du t'bel et de la ghaïta, et j'ai également été obligé, sous la menace, d'embaucher ma femme pour faire les choeurs ! (rires) Enfin, j'ai appelé Christine GHOGGAL pour faire aussi les choeurs, et Fatal GHOGGAL, qui joue de la guitare.

Vous connaissiez-vous avant cela ?

N. D. : Non, BROKEN STRINGS ne connaissait pas Youenn LE BERRE, je ne connaissais ni BROKEN STRINGS ni Michel SIKIOTAKIS ; mais, en revanche, on se connaissait entre Berbères. Donc, côté celte, il y a de la musique irlandaise et bretonne et côté berbère, il y a de la musique kabyle, touareg et chaabi. Ces termes désignent des sous-groupes. En fait, le peuple berbère habite le Nord de l'Afrique depuis avant les dinosaures (!) et se divise en régions. Ça va du Maroc jusque dans les îles Canaries et même en Egypte. En Algérie, dans le Nord, il y a des Kabyles, des Chaabis et, dans le Sud, il y a des Touaregs.

Quelles correspondances avez-vous trouvé entre les musiques celtiques et berbères ?

Youenn LE BERRE : Quand des gens qui jouent des percussions de n'importe quel pays du monde rencontrent d'autres gens qui font de la musique populaire ou traditionnelle, il leur est très facile de communiquer et de fondre la musique à travers le rythme. Ça, c'est à un niveau général. A un niveau plus particulier, la musique kabyle a des ressemblances surprenantes avec la musique bretonne, des similitudes incroyables du point de vue rythmique ainsi que mélodique. On a été frappés très fort (ouille !) par la ressemblance qu'il y avait entre des chansons kabyles et des chansons bretonnes !

N. D. : A ce sujet, je tiens à préciser à vos lecteurs - c'est très important - que les Berbères ne sont pas sortis de la frontière de l'Afrique et n'ont pas envahi d'autres peuples ! Ce sont les Celtes qui sont venus nous piquer des plans de rythmes, etc. (rires)

Y. LB. : Qu'est-ce que tu dis, toi, là-bas ?

N. D. : Je disais que c'était très bien, la musique celtique ! (rires)

Votre répertoire comprend des thèmes traditionnels et des thèmes composés. Comment s'est fait le choix ?

Michel SIKIOTAKIS : Ce sont des mélanges en fait, aussi bien de thèmes traditionnels que de thèmes composés. On joue un petit peu là-dessus aussi. C'est-à-dire qu'il y a certains thèmes où ce n'est pas forcément évident de savoir si ça a été composé ou si c'est traditionnel. Tout ça fait aussi partie de l'esprit du groupe. On passe d'une musique à l'autre sans qu'on s'en rende compte vraiment, et on passe aussi des fois à des pièces qui sont entièrement composées à des pièces très traditionnelles, voire très anciennes. On essaie de tromper tout le monde à tous les étages en fait !

Y. LB. : Le ton est très spontané. On ne s'est pas pris la tête, on s'est réunis à partir des musiques que chacun aimait et le mélange s'est fait très très naturellement. Autant il y a des disques qui prennent beaucoup de temps, de travail, d'élaboration, autant ce premier disque de MUGAR s'est fait très naturellement et très spontanément. Enfin, je crois.

On a l'impression que, côté celtique, c'est surtout la musique irlandaise qui prévaut.

N. D. : Les thèmes irlandais étaient les moins chers en droits d'auteurs. (rires)

M. S. : C'est vrai, il y a une grosse influence irlandaise puisqu'on a intégré dans MUGAR les musiciens de BROKEN STRINGS qui est un groupe breton de musique irlandaise.

Mais il n'y a pas forcément moins de liens entre les musiques berbères et la musique bretonne qu'entre les musiques berbères et la musique irlandaise ?

M. S. : En liens purement musicaux, c'est vrai que c'est surtout avec la musique bretonne. Cela dit, il est aussi important de montrer qu'on peut s'asseoir ensemble et réunir des musiques qui ne sont pas forcément si faciles que ça à concilier. C'est aussi une question de volonté. C'est un des messages du groupe : " Eh bien voilà, regardez, on peut vraiment se mettre d'accord sur les choses, même si au départ c'est pas si facile que ça. " Mais c'est vrai qu'avec la musique irlandaise c'est moins évident qu'avec la musique bretonne.

N. D. : Bien que la musique irlandaise soit plus proche du répertoire touareg, berbère du Sud algérien. C'est plus ternaire et puis dans le mode, dans la manière de chanter aussi.

Est-ce que vous avez songé à intégrer l'influence de la musique celtique du sud, donc de la Galice par exemple ?

M. S. : Par rapport à toute l'idée de celtisme, ce qu'on a également voulu montrer c'est que, sous le chapeau celtique, on a rassemblé déjà beaucoup de choses qui sont en fait très variées. Il y a énormément de différences entre la musique bretonne et la musique irlandaise, différences qui se sont applanies parce que depuis des années maintenant il y a beaucoup de musiciens bretons, souvent très bons, qui intègrent des instruments irlandais, des techniques irlandaises et qui les adaptent pour la musique bretonne. Mais si on écoute les enregistrements les plus traditionnels de chacune de ces musiques, elles n'ont rien à voir. Dans MUGAR, on a ajouté un élément qui est la musique berbère et c'est une manière de dire que sous le chapeau celtique on peut mettre des choses très différentes. Et c'est aussi pour des raisons d'esprit, d'amitié, d'affinités, qui sont plus importantes finalement que les questions de similitudes de structures musicales. Un jour, je suis entré dans un bar.

N. D. : Ça lui arrive tout le temps ! (rires)

M. S. : . tenu par des Kabyles et j'ai vu des gens qui se mettaient autour d'une table pour chanter et faire des percussions. Dans le milieu irlandais, qu'est-ce qu'on fait ? On se met autour d'une table et puis on sort les instruments, on joue, et on s'échange des morceaux. Je me suis dit : " C'est une ambiance que je connais ! "

N. D. : En tout cas, moi, je suis bien content d'avoir rencontré Michel. Maintenant j'ai une bonne adresse pour les merguez. (rires) Non, mais je t'assure ! Il y a une boutique de merguez à côté de chez lui, c'est la meilleure de Paris. C'est un plan pour les lecteurs !

Comme il semble que votre démarche soit de plus en plus répandue, est-ce que selon vous il y a des mélanges qui ne doivent pas se faire ?

Y. LB. : Ce qui compte c'est la volonté des gens de se réunir et de créer quelque chose ensemble. Il n'y a absolument rien d'interdit. Il y a des choses qui se passent plus facilement aussi pour des raisons culturelles. Si on a réuni la musique berbère et la musique celtique, ce n'est pas par hasard. C'est aussi parce qu'il y a toute une communauté kabyle en France. La musique, ce n'est pas une idée, ni quelque chose de pur auquel on ne peut pas toucher ; c'est une culture, donc c'est pratiqué par des gens. Ça n'appartient à personne, qu'aux personnes qui en joue et qui en écoute. A partir de ce moment-là on peut faire ce qu'on veut. Ce qui ne veut pas dire que tout est bien et égal dans le résultat. Pour moi, il n'y a aucun interdit.

Concernant AFRO CELT SOUND SYSTEM, pensez-vous que vous êtes partis sur la même idée de mélange ?

Y. LB. : La volonté n'est pas du tout la même. C'est une démarche beaucoup plus commerciale, je pense. Mais c'est bien aussi ! Il y a certains morceaux que j'aime bien, d'autres que j'aime moins. La démarche, je la trouve pas mal du tout.

M. S. : J'ai beaucoup aimé le spectacle d'AFRO CELT SOUND SYSTEM. Bon, pour le CD, je suis un peu du même avis que Youenn, mais le spectacle était superbe. Il y a de belles images dans AFRO CELT SOUND SYSTEM. Par exemple, la kora et la harpe celtique, avec tout l'habillage techno derrière. En spectacle, je trouve ça vraiment dynamique.

N. D. : Le spectacle était superbe. Je ne l'ai pas vu mais Michel me l'a raconté. (éclats de rire) Il m'a fait écouter le disque. C'est vrai que le spectacle est mieux !

Vous n'avez pas cherché à intégrer des sons plus modernes ?

Y. LB. : Non, on n'est pas modernes. Mais cette basse acoustique berbère qui s'appelle le gumbri a un son qui est moderne dans l'esprit, par rapport à ce qui se fait maintenant. C'est un son assez surprenant, ça sonne un peu comme une contrebasse ou une basse électrique. Ce qui peut sonner moderne, ce ne sont pas seulement les nouveaux sons électroniques, ça peut être aussi des alliages de sons traditionnels. La karkabou, par exemple : je ne connaissais pas et, en fin de compte, je trouve ça très moderne comme son.

M. S. : Depuis ces dernières années, la technologie de la sonorisation a évolué et on peut se permettre d'amener sur scène des instruments acoustiques plus compliqués à sonoriser. On n'aurait pas pu se permettre ça dans les années 70. Si on n'avait pas des instruments très efficaces comme une basse électrique, batterie, guitare électrique, c'était pas si facile que ça. Tandis que là on peut se permettre des choses, des mélanges qui sont liés en fait à la technologie actuelle.

N. D. : Il y a plein de gens qui utilisent des sons très modernes et c'est très bien aussi. Il y a de très belles musiques modernes. Mais c'est vrai que, des fois, on obtient ce son avec des instruments traditionnels qui ont véritablement CE son. D'ailleurs, en parlant du gumbri, sur le prochain disque de MUGAR, il y aura la photo de De GAULLE avec ses bras ouverts, un gunbri dessus, et il dit : " Je vous ai gumbri ! " (rires interminables)

Le mot de la fin ?

N. D. : Je voudrais dire que c'est le public de La Villette qui nous a vraiment portés, qui nous a aidés. C'est grâce à ce public enthousiasmé et enthousiasmant qu'on a pu continuer et faire un disque, qu'on a une production, un tourneur, et qu'on a pu poursuivre cette idée de rencontre berbèro-celte, et je l'en remercie beaucoup.

Article publié en avril 1999 (S.F.)